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Le don d’organes en questions

Charles-Henri d’Andigné

 

À quelles conditions le prélèvement d’organes se fait-il de manière respectueuse et éthique? Petit rappel, alors que sort au cinéma un documentaire sur la question.

 

Dans son film Revivre (voir encadré ci-contre), le réalisateur Karim Dridi raconte l’histoire de deux familles confrontées au prélèvement d’organes. Il a choisi le registre de l’émotion - légitime, bien entendu -, et de ne pas évoquer l’aspect éthique de la question. Il est pourtant essentiel.


Le don d’organes, en soi, peut être un « témoignage de charité », selon l’expression du pape Benoît XVI, lors d’un congrès international de l’Académie pour la Vie en novembre 2008. C’est le cas lorsqu’une personne donne un rein, par exemple. Mais quand on a affaire à un cœur ou à un poumon, organes uniques et vitaux, la situation est plus délicate, car elle exige que le « donneur » soit en état de mort cérébrale.

 

Revivre montre des parents en attente de dons d’organes pour leur bébé, sans nécessairement entrer dans la réflexion qu’il devrait susciter. Qu’est-ce que la mort cérébrale ou encéphalique ? Cette notion date des années 1960. Auparavant, le corps médical considérait qu’une personne était morte quand son cœur ne battait plus. En 1968, à l’université Harvard, un comité constitué de médecins, d’un historien, d’un juriste et d’un théologien a décidé qu’il en serait autrement, et que le critère scientifique de la mort serait désormais l’arrêt complet, définitif et irréversible de l’activité cérébrale. C’est l’époque où l’on commence à greffer des organes en France, en Grande-Bretagne, aux États-Unis, et ce n’est pas un hasard. « Cette décision a été prise pour permettre de prélever des organes », explique à Famille Chrétienne Jean-René Binet, professeur de droit privé à l’université de Rennes.
 

Cette question est capitale : on ne peut pas attendre que la personne soit morte et que ses organes ne fonctionnent plus pour prélever le cœur, le foie, le poumon, faute de quoi ils se nécrosent très rapidement. Pour éviter ce phénomène, on ventile le patient en état de mort cérébrale pour maintenir artificiellement sa respiration, la circulation de son sang, les battements de son cœur. Et l’on prélève un cœur battant, un foie vivant. C’est indispensable pour greffer l’organe dans de bonnes conditions. « C’est assez troublant, reconnaît le Pr Binet, car le cœur bat, le corps est chaud... » Mais comme l’écrivait Jean-Paul II en 2000: «Le critère récemment adopté pour établir la cessation complète et irréversible de toute activité cérébrale, s’il est rigoureusement appliqué, ne semble pas être en conflit avec les éléments essentiels d’une anthropologie sérieuse. »

 

Justement, ce critère est-il rigoureusement appliqué ? « En France, oui, assure le Pr Louis Puybasset, qui dirige l’unité de neuro-réanimation chirurgicale de l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière à Paris. Le système est militaire ! Il existe un protocole très précis, que l’on suit à la lettre. » Les soignants vérifient notamment l’absence de réflexes, et débranchent la ventilation

durant une ou deux minutes, sachant que c’est le cerveau qui commande la respiration. Si le patient cesse de respirer et que son cœur cesse de battre, c’est que le cerveau n’est plus en état de marche. Suivent deux électro-encéphalogrammes, à six heures d’intervalle, qui indiquent la présence ou non d’activité électrique du cerveau. Si les deux électro-encéphalogrammes sont « plats », le cerveau ne repartira plus.

 

Le respect du corps

Par ailleurs, l’hôpital observe des règles de priorité très précises, qui ne dépendent pas de lui : « Ce n’est jamais le chirurgien-greffeur qui choisit ses malades, et heureusement, observe le Pr Puybasset. Par exemple, un jeune de 16 ans victime d’une hépatite fulminante, sera greffé dans les vingt-quatre heures, car il y a danger de mort. Le rein, lui, sera considéré comme moins urgent, car on peut avoir recours à la dialyse. » Le médecin résume : « Nous prenons toutes les précautions éthiques. C’est “ceinture et bretelles”, comme en Allemagne... Dans d’autres pays, comme les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Inde, on est plus libéral... »

 

En suite, dans quelle mesure a-t-on le droit de prélever un organe sur un patient en état de mort encéphalique ? « Il y a la loi et la pratique, répond le Pr Binet. En 1976, la loi Caillavet a établi une présomption de consentement. Si le patient n’a pas fait savoir son opposition, lorsqu’il était en état de le faire, il est considéré comme consentant (1). Cette notion de consentement présumé avait provoqué, à l’époque, de très vifs débats, car elle est en contradiction avec un principe juridique : en droit, qui ne dit mot…ne consent pas.» Raison pour laquelle une loi de 2004 insiste sur la nécessité d’informer les citoyens de la législation en vigueur.

 

Voilà pour la loi. La pratique, heureusement, vient tempérer ce qu’elle peut avoir de raide. « Biensûr, nous demandons systématiquement son avis à la famille, rassure le Pr Puybasset. Plutôt qu’une réponse par oui ou par non, nous leur demandons de porter témoignage de ce qu’aurait voulu le malade, et pour cela nous cherchons à établir un consensus. La plupart du temps, le patient n’en a pas parlé... Cela ne se résout pas en cinq minutes, mais en plusieurs jours, nous laissons à chacun le temps de réfléchir. En cas de refus, même d’une partie de la famille, nous ne passons jamais outre. » « Le respect du corps dure au-delà de la mort », conclut le Pr Binet.

 

 

Note

(1) En Belgique, comme en France, le consentement présumé pour le don d’organes est établi par la loi. Selon cette loi, toute personne majeure est présumée consentante au prélèvement de ses organes à son décès, sauf refus explicite exprimé de son vivant.

 

 

En chiffres

En 2022, en France:

-     5494 greffes ont été réalisées, contre 5276 en 2021, ce qui représente une hausse de 4%.

-     Parmi celles-ci, 533 greffes ont été réalisées à partir de donneurs vivants contre 522 en 2021, dont 511 greffes rénales.

Source : Agence de biomédecine.

 

 

Revivre

Ce sont deux couples dont le bébé est en danger de mort. L’un, Selim, souffre d’une très grave insuffisance cardiaque, qui l’oblige à vivre avec un appareillage compliqué ; l’autre, Luna, d’un dysfonctionnement du foie, tout aussi sérieux, qui l’empêche d’avaler quoi que ce soit. Impossible

de se développer dans ces conditions. Selon les médecins, il n’y a qu’une solution : la greffe. Les parents attendent, prennent plus ou moins leur mal en patience, pleins d’espoir. Le réalisateur, Karim Dridi, a pris le parti du reportage brut, sans commentaires en voix off, sans autre analyse que celle des médecins qui expliquent aux parents, fragilisés par une angoisse affreuse, ce qui va se passer, ce qui pourrait se passer... À l’écoute, attentifs, ils veulent dire la vérité sans trop choquer, rassurer sans donner de faux espoirs.

Autre parti pris : tout est vu du côté receveurs, on ne sait rien des donneurs. Comme si l’auteur du film partageait le refus de savoir des parents. Le cœur, le foie arrivent par hélicoptère, comme s’ils tombaient du ciel ; on n’en saura pas plus. Tout au plus un père y fait-il allusion: «Eh oui, c’est la vie, c’est le destin!», soupire-t-il. Tout est basé sur l’émotion – plus que compréhensible – des parents et des soignants. Le spectateur est embarqué, pleure avec eux, se réjouit quand les parents du petit Selim quittent l’établissement sous les applaudissements. « C’est moi qui devrais vous applaudir ! », leur répond le père. Dommage de ne pas avoir accordé plus de place à la réflexion...

C.-H. A.

 

Documentaire de Karim Dridi (F.), le 28 février au cinéma.

Famille Chrétienne, N°2405, 17 eu 23 février 2024